Tupaia

Au siècle des lumières, Wallis, Cook, Bougainville et d’autres explorèrent l’océan Pacifique, visitèrent les îles océaniennes, en particulier Tahiti. Ce fut un choc entre deux civilisations très différentes et totalement opposées dans de nombreux domaines, notamment pour les choses de la mer : navigation, météorologie, constructions navales. Les européens, convaincus de leurs supériorités scientifique et technique sur des «sauvages» ne dépasseront pas le stade de l’étonnement et n’en tireront aucune leçon. Ils prétendirent « découvrir » ces îles aménagées et peuplées depuis longtemps par les polynésiens, allant même jusqu’à les rebaptiser. Tahiti (franchir-les-limites-de-l ’horizon) deviendra ainsi l’ile du Roi Georges, nom qu’elle ne conservera pas, heureusement.

Lors de son séjour à Tahiti en 1769, le capitaine Cook embarquera à bord de son bâtiment, l’ Endeavour, un autochtone Tupaia. Celui-ci accompagnera les Européens pendant seize mois à travers l’Océan Pacifique, jusqu’à Batavia où il mourra. L’amiral Desclèves s’appuie sur les passages des récits des Européens où les faits et gestes de Tupaia sont rapportés de manière factuelle, pour nous présenter la culture du « Peuple de la mer » comme ils se nomment eux-mêmes. L’amiral Desclèves a connu cette civilisation au contact direct d’un  polynésien et de sa famille avec qui il avait noué une profonde amitié et il la décrit dans deux ouvrages : Le peuple de l’Océan – l’art de la navigation en  Océanie (L’Harmattant 2010) et celui-ci.

Tupaia était un noble de haute lignée, grand prêtre et navigateur émérite, né à Ra’iatea l’ile mère, il avait environ 45 ans. Il pratiquait à merveille l’art oratoire – qui incarnait le savoir –  mais où la mémorisation était fondamentale au prix d’un intense effort cérébral. Les longues litanies des ancêtres étaient bien connues de Tupaia. Victor Ségalen dans Les Immémoriaux décrit magistralement celles-ci ainsi que les transes du récitant. C’est en Nouvelle-Zélande que Cook découvrit cet aspect de la culture polynésienne, lorsque Tupaia et les Maori raccordèrent les parties des lignées connues par chacun et se reconnurent parents.

Le plus surprenant pour  les européens furent sans doute les méthodes de navigation des polynésiens, sans cartes, ni instruments, ni tables astronomiques, basées uniquement sur l’observation du ciel. Cook relate que Tupaia était capable de leur décrire plus de 130 îles, avec leurs étoiles zénithales dont il connaissait l’ordre de lever et de coucher sur l’horizon. Pressé par Cook et son état-major, il dressa une carte de son invention, totalement incompréhensible par ceux-ci. Il positionna 70 iles autour de Tahiti, mais certaines apparaissent plusieurs  fois et d’autres situées au nord étaient placées au bas de la carte. En fait cette carte décrit les routes à suivre pour cheminer d’ile en ile. Cook reconnaissait également que les prévisions météo de Tupaia étaient bien plus fiables que les siennes, alors qu’elles étaient  basées sur une perception sensorielle de la « lourdeur » de l’air ambiant et sur l’observation du comportement de certains animaux.

Cet ouvrage met le lecteur devant la culture polynésienne en évitant d’interposer notre prisme cartésien d’Européens. En conclusion, l’amiral Desclèves reprend ces mots de Maurice Leenhart, ethnologue et missionnaire français : « Nous les colonisateurs, nous n’avons pas vu … nous n’avons pas remarqué la culture subtile, solide, pleine de ressources qui existait ici avant nous. Cette culture est encore vivante, bien que nous soyons près de la détruire, n’ayant pas de regard pour son art, ni d’ouïe pour sa poésie ».

CV(H) Gérald BONNIER
15/08/2023

TUPAIA
Le fabuleux voyage d’un « sauvage » au temps des Lumières
Vice-amiral Emmanuel Desclèves
Editions L’Harmattan

Voir également la recension du CF(H) Philippe BEAUCHESNE

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