Ce livre a reçu le Prix Marine Bravo Zulu 2023 dans la catégorie « Mention spéciale Livre ».

La réflexion navale, bien que d’une grande richesse, est en France traitée de manière inégale. Si la pensée stratégique, qui s’intéresse aux objectifs politiques et au temps long, n’a jamais cessé, il n’en est pas de même pour la pensée tactique, qui sert l’atteinte des objectifs terrain, au ras de flots et en face de l’ennemi. Là où Hervé Coutau-Bégarie, il y a peu, portait haut la première, force est de constater que la dernière période d’intense réflexion tactique date du début du XXe siècle.

Vaincre en mer au XXIe siècle vient opportunément combler ce retard. Dans un contexte de profonds changements, où le retour de la haute intensité devient peu à peu réalité, Thibault Lavernhe et François Olivier Corman, tous deux officiers de Marine, portent la conviction que l’investissement intellectuel doit impérativement accompagner l’investissement capacitaire. Aussi ont-ils choisi de poser quelques questions fondamentales, indispensables à notre temps : comment adapter la tactique au retour du combat naval ; que peut-on apprendre de l’Histoire en matière de combat naval, qui puisse être utile aux marins d’aujourd’hui ?  

Le monde maritime change vite et, après les quatre âges de la voile, du canon, de l’avion et des missiles, le cinquième, celui de la robotique et du numérique, est venu.

Les choses changent vite, notamment au travers de tendances majeures que sont le rôle de l’information, la fusion des milieux, la dilatation du champ de bataille et l’influence réciproque de la terre sur la mer qui ne fait que croître. Mais ces tendances nouvelles côtoient des constantes qui dominent de toute éternité la dimension navale : le milieu maritime dans lequel se situe le combat en mer (global, fluide, lisse, immense et en trois dimensions), la nature de l’action navale (le combat en mer est rapide, destructeur et décisif) et la manière d’aborder la planification et le combat naval. A la fin, ce sont les constantes qui dominent.  

L’ouvrage met en évidence la montée des dimensions aéroterrestres et aéromaritimes, le renforcement de l’importance de l’interalliés et de l’interarmées, et la difficile appréhension du multi-milieux qui nécessite synchronisation des effets – notamment dans le champ informationnel, cyber et spatial qui n’appartiennent pas à une armée en propre. Seule l’agrégation des interdépendances permet de transpercer ce brouillard.

Enfin, les auteurs projettent que, dans ce cinquième âge de la guerre navale, la généralisation du drone devrait faciliter le recours à la violence et l’exacerber ; et aussi induire une imprévisibilité qui pèsera sur le combat. Surtout, cette généralisation repose la question de la masse, qui pèsera au niveau tactique.  

Cet ouvrage intelligent, plein d’exemples auxquels se référer, comble brillamment une lacune qu’il était temps de traiter. A l’heure de la guerre en Ukraine et du renforcement continu des forces navales russes et chinoises, des provocations ou attaques contre les littoraux ou en mer, cet ouvrage donne des perspectives qui permettront de se projeter. Sa richesse et sa relative complexité ne nuisent en rien à son souffle et sa clairvoyance. Souhaitons-lui de devenir rapidement un manuel pour les élèves de l’Ecole navale ou un sujet d’étude pour les stagiaires de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale. Il le mérite amplement.

CC(R) Jean-Pascal DANNAUD
28/08/2023

Vaincre en mer au XXIe siècle – La tactique au cinquième âge du combat naval
Thibault Lavernhe et François-Olivier Corman
ÉQUATEURS

Voir également la recension du CC(R) Lionel DUHAULT, la recension du LV(H) Dominique RENIE et la recension du LV(H) Bruno LEUBA