A perte de vue la mer gelée

Ce livre a reçu le Prix Marine Bravo Zulu 2021 dans la catégorie « Livre ».

Voici un livre qui ne ressemble à aucun autre. Il est parfois déconcertant mais très agréable à lire et laisse chez le lecteur une trace profonde.

Le parti pris de l’auteur est plus qu’original : il s’adresse amicalement à Pythéas de Marseille, un explorateur marseillais du IVème siècle avant notre ère, dont les écrits – contestés par ses contemporains – ont malheureusement disparu. Cette conversation, dont le ton révèle l’admiration sincère que le romancier porte à l’explorateur antique, est agrémentée de considérations historiques et géopolitiques originales et pertinentes.

Pythéas de Marseille a rédigé du temps d’Alexandre le Grand un traité majeur intitulé De l’océan qui relatait ses explorations polaires et présentait ses observations scientifiques en astronomie, géographie et océanographie. Ce traité récapitulait toute son expérience de marin et de négociant. Pythéas avait en effet navigué et commercé dans toute la Méditerranée et jusqu’au fond de la mer Noire. Mais il avait également poussé jusqu’en Grande-Bretagne, en Irlande et en Islande. Alors que l’Islande était toujours vierge de toute population, car n’ayant pas encore été découverte par les Scandinaves, il y accosta puis monta plus au nord et découvrit la banquise. Ce phénomène inconnu à l’époque permit à tous ses détracteurs de le moquer. Cette suspicion ignorante pourrait expliquer la disparition totale de ses écrits, les seules traces qui nous en soient parvenues n’étant que les quolibets de ses détracteurs.

Le style du roman, bien qu’inattendu, est particulièrement stimulant. Au détour du récit historique, l’auteur bascule fort à propos vers des considérations relatives aux expéditions polaires et aux difficultés ayant présidé à leur organisation. Ou encore, en présentant l’île de Thulé, il recense tous les lieux qui ont porté ce nom légendaire – et il y en eut beaucoup. C’est passionnant et très instructif, sans la moindre pédanterie.

On peut ainsi lire ce livre comme la biographie d’un explorateur antique exaltant ses qualités de navigateur et de meneur d’homme, comme un traité géopolitique des pôles et des enjeux contemporains de leur contrôle, comme une description des incertitudes scientifiques des Grecs anciens à l’égard de la compréhension de l’univers, comme un traité économique des relations commerciales du monde antique ou comme une réflexion sur la diffusion et la conservation du savoir. On a l’agréable sentiment de discuter intimement avec un ami de longue date. Ajoutons à cela la participation de Pythéas à une ambassade auprès d’Alexandre le Grand. Ce bref épisode, où l’auteur fait preuve d’une imagination très crédible, met en évidence le respect des puissants pour l’absence de flagornerie et la véritable compétence. La rencontre entre Pythéas et Alexandre n’est pas attestée par les récits historiques mais se révèle le point d’orgue du roman. Alexandre l’interrogeant sur la meilleure manière de laisser une trace profonde dans l’Histoire, ce serait en effet Pythéas qui lui aurait suggéré de fonder à Alexandrie une bibliothèque rassemblant tous les livres jamais écrits. François GARDE avait obtenu en 2012 le Prix Goncourt du premier roman pour Ce qu’il advint du sauvage blanc. Par son originalité, son écriture délicate et sa puissance imaginative et créatrice, À perte de vue la mer gelée confirme qu’il est un écrivain de talent dont il faudra suivre avec attention les futures productions.

LV(H) Dominique RENIE
24/08/2021

François Garde
A perte de vue la mer gelée
Paulsen, 2021

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