Le grand naufrage de l’armada des Indes

En 1627, les pays ibériques ne formaient depuis 1581 qu’un royaume unique. Or, cette année-là, une terrible catastrophe maritime, dont le souvenir semble apparemment avoir sombré dans l’oubli, frappa le Portugal.

À la fin de l’année précédente deux gigantesques caraques de 1600 tonneaux étaient rentrées des Indes avec une inestimable cargaison d’épices, de parfums, de tapisseries, de soieries, de porcelaines et de pierres précieuses. À la suite de divers contretemps, l’escadre militaire de cinq galions et d’une hourque chargée de les escorter jusqu’à Lisbonne ne parvint pas à effectuer sa jonction avec elles et tous ces bâtiments, dépalés vers le nord par les vents contraires, finirent par se réfugier à La Corogne et au Ferrol. Il paraissait logique d’y décharger les marchandises et de les acheminer à Lisbonne par voie terrestre. Mais les autorités lisboètes, invoquant le monopole qui interdisait de débarquer les cargaisons des Indes ailleurs que dans leur port afin de préserver leurs droits de douane, s’y opposèrent avec la dernière énergie et obtinrent l’accord de la Cour de Castille (notons au passage qu’une revendication tout aussi stupide devait provoquer la perte d’une partie de la cargaison d’or des galions espagnols réfugiés en 1702 dans la baie de Vigo).

 Bref, les huit bâtiments portugais appareillèrent pour Lisbonne à l’extrême fin de décembre 1626, c’est-à-dire au plus mauvais moment de l’année, malgré l’opinion défavorable du capitaine général Manuel de Meneses, commandant l’escadre militaire. La suite des évènements ne fit que confirmer son pessimisme : les infortunés bâtiments, très peu manouvrants, furent emportés vers le nord-est par une tempête d’une violence exceptionnelle (à part le galion le Santiago qui eut la chance de pouvoir se réfugier à Guetaria et le vaisseau de Meneses qui, quoique démâté et disloqué, parvint à sauver 200 de ses 500 occupants grâce à l’héroïsme et au dévouement des marins de Saint-Jean-de-Luz) et allèrent se fracasser l’un après l’autre sur l’inhospitalière côte des Landes entre Hourtin et Capbreton. Le nombre des victimes, si l’on se base sur les chiffres estimés, se monta à 2.300 morts sur près de 3.000 officiers, marins et passagers.

Quant aux riches cargaisons, elles ne furent pas perdues pour tout le monde : les populations landaises, encore très peu civilisées à l’époque, ne se privèrent pas de dépouiller, voire de massacrer les malheureux survivants. Quant à l’avide duc d’Épernon, gouverneur de Guyenne, il n’hésita pas non plus à se servir abondamment, provoquant un imbroglio diplomatique qui impliqua Louis XIII, Richelieu et la noblesse du Médoc.

Cet épisode dramatique, encore que peu connu, de l’histoire maritime avait fait l’objet en 2000 de la publication par les éditions Chandeigne d’un ouvrage intitulé Le naufrage des Portugais, dans lequel Jean-Yves Blot et Patrick Lizé publiaient les documents les plus importants concernant cette affaire : lettres, documents administratifs et mémoires en français, ainsi que les deux relations de témoins oculaires, Manuel de Meneses lui-même et Francisco Manuel de Melo, également rescapé du galion-amiral. Âgé seulement de dix-huit ans à l’époque, Melo devait connaître par la suite une brillante carrière d’homme d’État, de militaire et surtout d’écrivain aussi éclectique que prolifique.

L’éditeur Michel Chandeigne vient donc de rééditer en édition de poche le récit apocalyptique de Francisco Manuel de Melo. Le texte, très vivant et passionnant en lui-même, est précédé d’une excellente préface qui énumère et décrit méthodiquement tous les éléments ayant conduit à cette catastrophe dont le Portugal devait mettre bien des années à se relever.

CV(H) Philippe HENRAT
01/03/2021

Le grand naufrage de l’armada des Indes
Francisco Manuel de Melo
Editions Chandeigne

Voir également la recension du CF(H) Philippe BEAUCHESNE

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