Atar Gull ou le destin d’un esclave modèle

Sélectionné pour le festival international de bande-dessinée d’Angoulême 2012

PMO_AtarGull1830. La traite négrière bat son plein, qui profite des guerres intestines entre groupes ethniques d’Afrique australe. Atar Gull, fils du roi de la tribu des petits Namaguas, est vendu à un négrier et embarque avec une centaine d’autres esclaves pour les Caraïbes. Après une traversée terrible au cours de laquelle le navire est arraisonné par des pirates et le « bois d’ébène » change de propriétaire, seuls dix-sept rescapés sont vendus. Tom Will, planteur, esclavagiste bon teint empreint d’humanisme, achète Atar Gull et, rapidement, l’attache à son service. Apparemment fidèle, docile et de bonne volonté, ce dernier est en réalité animé d’un esprit de vengeance inextinguible et d’une cruauté sans mesure envers un maître qui n’est pas irréprochable.

Dans cette histoire maritime, rien ne manque, de l’achat des esclaves et leur transport entassés dans d’effroyables conditions à leur exploitation au cœur des plantations, en passant par la traversée houleuse de l’océan et les abordages.

De l’ensemble des personnages, deux figures émergent particulièrement. Atar Gull, esclave puis affranchi, est un titan noir, martial et déterminé, sournois et impavide, qui déroule sa vengeance froide à la manière d’un Monte-Cristo, jusqu’à son paroxysme ambigu. Le pirate Brulart, criminel, scélérat, opiomane halluciné, répand la terreur partout, y compris au sein de son propre équipage. Tous deux incarnent une douleur enfouie, qui les anime et les ronge. Tous deux portent, sous une parure de dignité et d’honneur, la marque de la souffrance et de la haine qu’ils distribuent et s’infligent.

Le dessin magnifie ce scénario. Plus que par les couleurs, c’est au travers des effets de lumière et du jeu des clairs-obscurs que l’atmosphère lourde est restituée. Et l’apparent emprunt aux masques africains, songye, fang ou bambara, pour exprimer les tourments et la violence qui hantent les principaux protagonistes, ajoute au trouble.

Adapté d’un roman d’Eugène Sue, qui fut chirurgien de Marine avant de devenir écrivain, Atar Gull est un conte barbare et ambivalent qui ne laissera pas le lecteur indifférent. Car au final, c’est la noirceur de l’âme humaine qui est décrite et il est bien difficile de départager un esclavagisme sordide – même drapé d’une once d’humanité et de paternalisme – du moyen de le combattre, aigre et implacable. Il n’y a personne à sauver dans cette histoire, où nulle ligne ne permet de séparer le bien du mal.

Vigoureux et original, intense et terrible, au fort pouvoir d’évocation historique, cet album expressionniste et noir renouvelle – en un seul volume – le genre ouvert par les Passagers du Vent de Bourgeon. Avec succès.

 

L.V. (R) Jean-Pascal DANNAUD

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